Qu'est ce que la croissance / décroissance?
Dans le contexte d'un monde livré à un libéralisme économique débridé entraînant la planète vers un désastre social et écologique d'ampleur inégalée depuis que l'humanité existe, la Décroissance propose une piste de réflexions permettant d'espérer un futur meilleur. La Décroissance ne prétend aucunement proposer un projet "clé en main" permettant de résoudre tous les problèmes auxquels l'humanité est confrontée, il s'agit au contraire, d'élaborer ensemble un nouveau projet de société.
Cette courte note n'a pas vocation à épuiser le sujet (c'est l'objectif de ce site !), il s'agit simplement de tirer à grands traits un profil de la Décroissance afin de dissiper quelques malentendus possibles. Il s'agit dans un premier temps de déceler un certain nombre de préjugés fortement ancrés dans notre culture, pour permettre ensuite d'envisager de nouveaux modes de vies.
S'il ne faut pas confondre Décroissance et récession, cette dernière n'étant évidemment pas souhaitable, la notion de Décroissance s'articule toutefois autour de la critique du mythe d'un progrès social obtenu sur la seule base d'une croissance économique illimitée.
1. Le mythe de la croissance économique infinie.
Une croissance infinie sur un monde fini est impossible. Et quand bien même cette croissance serait durable, faire croire que seule une augmentation du PIB pourra permettre de résoudre les problèmes est un mensonge.
Rappelons que le PIB se définit comme étant la somme de toutes les valeurs monétaires ajoutées dans une année. Cette définition ne permet pas de faire la différence entre ce qui est socialement bénéfique de ce qui ne l'est pas. Un accident de voiture, par exemple, qui, par tout ce qu'il induit (réparation de la route, frais de médecine, …), contribue à l'accroissement de PIB. L'apparition d'un nouvel indicateur, l'IDH (Indicateur de Développement Humain), prouve que le PIB n'a pas rempli sa fonction d'indicateur de bien-être social. Le PIB est, en quelque sorte, aveugle.
Alors que la droite comme la gauche nous explique sans relâche que pour lutter contre le chômage, seule une croissance économique forte pourra créer des emplois, on constate que le PIB, depuis les années 50, n'a fait que globalement s'accroître alors que dans le même temps le nombre d'emplois a fortement diminué. Ainsi, l'augmentation du PIB ne va pas de pair avec celle des emplois.
Enfin, c'est la façon dont on cherche à faire croître l'économie qui est la plus dévastatrice. En effet, parmi d'autres moyens, c'est la hausse de la production qui est largement privilégiée. Selon ce principe il faut donc coûte que coûte continuer à produire plus. Peu importent les réels besoins de l'usager, ce qu'il faut, c'est produire. Dans ce cadre la publicité devient le moyen qui, en créant toujours plus de besoins (et donc de frustrations), permet d'écouler les biens de la production.
Cette course à la production dans le but de faire perdurer un système favorable à un groupe de privilégiés, c'est-à-dire le productivisme, s'accompagne d'un désastre écologique (effet de serre, perte de la biodiversité, …) et social (misère, famine, inégalité, …) qui met en danger la survie de l'espèce humaine à court terme. C'est à ces maux que la Décroissance entend s'attaquer.
2. Le productivisme
La critique de la croissance économique est donc aussi celle du productivisme. La production de PLUS de biens matériels ne signifie pas forcément vivre MIEUX. Il faut comprendre que ce que l'on gagne d'un côté on doit le perdre de l'autre.
Ajoutons que l'idée suivant laquelle tous les êtres humains auraient de façon innée, naturelle, l'envie de toujours posséder plus n'est pas confirmée par l'anthropologie.
La production d'un bien nécessite matière et énergie. D'un côté, nous pouvons profiter aujourd'hui d'un nombre considérable de biens et de services, mais de l'autre, outre la pollution engendrée, cela réduit les ressources disponibles pour les générations futures et diminue donc d'autant leurs chances de survie. Ce phénomène entropique avait été remarqué par Nicholas Georgescu Roegen [1].
Rendant accessibles au plus grand nombre de nouveaux objets, le productivisme combiné à l'industrialisation a dans le même temps contribué à la création de beaucoup de métiers pénibles et aliénants, organisant ainsi une hiérarchie sociale. Certains ont pour fonction de produire, d'autres de jouir des biens et des services.
Produire pour produire n'a aucun sens. Il faut s'interroger sur le bénéfice social de certains objets. Les armes, par exemple : leur fabrication permet de donner un travail à beaucoup de personnes, d'engranger de pharamineux bénéfices, mais à l'autre bout de la machine de production il y a toujours des morts ! Pensons au complexe militaro-industriel américain.
Pour sortir du productivisme, il faut commencer par tenir compte de la finalité de l'usage. Pourquoi fabriquer un 4*4 plutôt qu'une 2CV? Une production incontrôlée ne peut déboucher sur un bien être social accru. Il est nécessaire que les usagers retrouvent la maîtrise de leurs usages.
Loin de se limiter à cette simple critique, la Décroissance vise, à travers le mythe de la croissance économique, les idées propres à l'Occident que sont le Développement et le Progrès.
3. Le développement : une idée occidentale?
L'idée du développement, construit sur une conception linéaire du temps, est un caractère propre à l'occident. Cette échelle de temps infini permet de donner crédit à la thèse suivant laquelle une progression graduelle sans fin conduirait, comme lors du développement d'un embryon, une société ou une espèce (il s'agit alors de Darwinisme) vers un état "adulte".
Il n'est pas question de faire ici une critique du Darwinisme [2] [3]. Nous remarquerons simplement que le critère choisi pour évaluer le degré d'adaptation d'une espèce à son environnement, c'est-à-dire son degré d'évolution, n'est pas si objectif qu'il y paraît à première vue.
Le critère de sélection souvent retenu pour mesurer la valeur adaptative du cheval est la vitesse. La nature "sélectionne" le cheval le plus rapide. A contrario l'escargot, animal peu rapide, a une très forte capacité adaptative puisque cette espèce est capable de vivre sur terre comme dans le milieu aquatique. Pourquoi donc, le critère de vitesse considéré comme pertinent pour le cheval, ne l'est plus pour l'escargot? Pour l'homme, le critère retenu est l'intelligence. Mais est-ce cela qui permet d'affirmer qu'un homme est plus adapté à son milieu qu'une amibe? Ce qu'il faut comprendre c'est que les critères considérés comme appropriés dépendent fortement de celui qui les choisit.
La notion de temps linéaire, s'oppose à celle de temps cyclique répandue de par le monde. Notons, par exemple, que selon la mythologie indoue, le temps forme un cycle divisé en quatre périodes, de durées différentes. Dans cette conception le futur est aussi le passé. Ainsi, préserver l'environnement pour le futur c'est aussi protéger son environnement passé !
Dans le même registre, les Chinois possèdent les notions de Yin et Yang. Selon ce principe, tout procède de l'alternance du Yin et du Yang. Ce qui croît doit finir par décroître !
Ainsi, en ne considérant comme pertinents que les critères propres à l'Occident, l'idée de développement, appliquée aux sociétés, a conduit à penser que les civilisations devaient toutes se développer de manière unilinéaire.
Selon cette idée chaque société aurait déjà en germe le modèle occidental, mais pour d'obscures raisons, ces pays ne réussiraient pas à se développer "aussi bien". Ainsi, les pays occidentaux, au summum de l'évolution et du bien-être, se devraient, dans un geste de compassion, d'aider les autres, dits pays en voie de développement à les rejoindre [4]. On entrevoit ici, toute l'histoire du colonialisme, jusqu'à son dernier avatar : la mondialisation [5].
Ici aussi, aucun critère d'évaluation n'est absolu. La quantité de bien matériel disponible, par exemple, semble pouvoir être d'échelle objective pour mesurer l'avancement sur la voie du développement. Pourtant, contrairement à une idée fortement ancrée dans les esprits occidentaux, il ne faut pas confondre l'apparente indigence de bons nombres de peuples traditionnels ("primitifs") avec de la pauvreté (et le sens que nous donnons à ce mot [6]).
La pauvreté ne se mesure pas forcément à l'aide de la quantité de biens matériels et de services disponibles. Au contraire, nous affirmons avec force que la pauvreté est avant tout affaire de culture. Dans de nombreuses sociétés en effet, celle ci se mesure par la solidarité et la densité de lien social. Selon un proverbe amérindien : "est pauvre celui qui n'a pas d'amis".
Si cette "aide" apportée aux "pays pauvres" a pu paraître sincèrement souhaitable par certains, force est de constater que les fruits du progrès apportés par l'Occident se sont très souvent révélés amers. Il n'a suffi que de quelques siècles pour désintégrer les modes de vie millénaires de bien des peuples, plongeant alors ces deniers dans la misère [7].
Remarquons qu'avant l'arrivée de la modernité, les peuples traditionnels, bien loin d'être dans un état de manque congénital, vivaient dans une société d'abondance où, en peu de temps, l'homme pouvait disposer de tout ce dont il avait besoin pour vivre [8]. Ajoutons que ces sociétés, bien loin d'être infantiles, avaient su créer un mode de vie évolué en totale harmonie avec leur environnement (dont leur survie dépendait entièrement) [9].
Outre l'abondance de biens et de services, un autre critère est également jugé comme pertinent : la connaissance techno scientifique.
4. Le progrès des sciences et des technologies
L'équation "PLUS=MIEUX" a également largement servi à justifier la recherche dans le domaine des sciences et des techniques. Ici encore, il faut démasquer les préjugés. L'augmentation des connaissances combinée à l'efficience technique s'est très souvent accompagnée de désastres écologiques et sociaux. Ici aussi la médaille possède un revers.
Remarquons que cette recherche de l'efficience technique est très récente au regard de l'âge de l'humanité. Autrefois sacralisée, la nature ne pouvait être exploitée. Alors que l'être humain existe depuis des millénaires, la mise en place de l'agriculture ne date que d'environ dix mille ans. Un proverbe amérindien dit "pourquoi ensemencer la terre nourricière alors qu'elle nous donne déjà tant?"
Depuis lors, les progrès des technologies et de la pétrochimie ont permis de très largement augmenter les rendements. Jamais la production n'a été aussi importante. Beau résultat certes, mais si l'on doit le rapporter à l'énergie non renouvelable utilisée, alors jamais l'homme n'a utilisé autant d'énergie pour se nourrir. Ici aussi, nous le voyons, le critère retenu n'est pas objectif !
Notons que si les techniques offrent aujourd'hui à l'homme un pouvoir d'action sur la nature sans précédent celles ci s'accompagnent aussi de nouveaux risques. La "domestication" de l'atome, par exemple, rend aujourd'hui possible l'annihilation de l'espèce humaine par l'utilisation des bombes nucléaires.
De plus, il faut souligner que l'apparition de nouvelles technologies peut provoquer des changements imprévisibles de la société dans laquelle elle prend place.
Qui pouvait prévoir que l'invention de la machine à vapeur au XIX siècle, entraînerait l'industrialisation qui a elle-même abouti à la création de la classe sociale ouvrière? La voiture a elle aussi changé radicalement l'organisation des villes et du territoire, et partant, des comportements sociaux. Perçue à l'origine comme un moyen d'aller plus vite et donc de gagner du temps, elle est devenue progressivement incontournable et nous fait désormais perdre une grande partie de notre temps. En outre, en facilitant l'accès aux grandes surfaces, elle a participé à la disparition de nombreux commerces de proximité, la rendant de fait encore plus indispensable !
Enfin, la pollution induite par la technologie est aujourd'hui patente dans bon nombre de secteurs. Citons la pollution magnétique, les émissions de CO2, d'ozone, la dissémination d'éléments radioactifs, les OGM, …, la liste est longue. Cette détérioration de notre environnement semble être la cause de l'apparition de nouvelles maladies. D'un côté la technique permet de réaliser des prouesses en chirurgie, de l'autre, le nombre de cancers n'a jamais été si élevé…[10]
Ajoutons que bien souvent les "solutions", apportées par la technique, posent de nouveaux problèmes, qui eux même seront résolus par la technique, qui …On voit bien là apparaître la naissance d'une boucle sans fin, dont on ne peut saisir tous les aboutissants. La technique s'auto-génère devenant à la fois le problème et la solution. La recherche s'auto-renforce d'elle-même et pour elle même, sans plus de réflexion quant à sa finalité, sans n'être plus soumise à aucun contrôle social. L'un des enjeux est donc de reprendre le contrôle de l'usage de la recherche. Sur ce sujet on pourra notamment se référer aux sources suivantes [11,] [12], [13], [14].
5. Conclusion
A ce stade nous espérons avoir convaincu que le modèle productiviste occidental et son imaginaire n'est pas une fatalité [15]. On comprend que le concept de Décroissance s'attaque dans son ensemble au mythe du progrès. Alors quoi faire? Tourner le dos à la science, aux techniques, à la recherche? Les lignes ci-dessus pourraient laisser croire que la Décroissance prônerait une sorte de retour à l'état sauvage, à l'âge de pierre. Il n'en est rien ! Entre la bougie et le nucléaire, d'autres voies sont à explorer !
La mention des peuples primitifs n'est là avant tout que pour raviver notre imaginaire. Ces peuples bien qu'ayant une empreinte écologique quasi nulle et un tissu social dense, ne sauraient constituer un modèle de société souhaitable pour l'avenir [16].
Entre autres messages, ce que ces peuples doivent nous rappeler c'est qu'ils étaient capables de s'auto-limiter (y compris en ce qui concerne la quantité de pouvoir attribué à l'individu [17]).
Une réduction choisie de la quantité de biens et de services utilisés peut s'accompagner d'un réseau social enrichi et d'une qualité de vie meilleure. La suppression ou une réduction significative de l'usage de la télévision par exemple, permet de consacrer plus de temps à sa famille et à ses amis.
Il ne s'agit donc pas de se frustrer ou de se priver, mais bien de comprendre, que cette diminution de la consommation est autant de contraintes, de besoins, et d'aliénation en moins. L'autolimitation, en nous permettant de retrouver plus d'autonomie, devient alors synonyme de liberté. D'après Lao Tseu "est riche celui qui sait se contenter".
Aujourd'hui face au désastre écologique grandissant, et alors que se profile un possible totalitarisme écologique, la Décroissance offre un cadre conceptuel permettant de résoudre les problèmes environnementaux tout en préservant la liberté de l'individu.
Il ne s'agit pas d'imposer aux autres un modèle unique de Décroissance, mais c'est à chacun, chaque peuple et chaque pays, de commencer par définir ses besoins et de trouver ensuite sa voie permettant ainsi l'émergence d'une Décroissance Equitable Mondiale.
Notes :
[1] Nicholas Georgescu Roegen, La décroissance, Sang de la terre, 1995.
[2] Rémy Chauvin, Le Darwinisme, Editions du Rocher, 1997
[3] Pour une ébauche d'alternative au Darwinisme on consultera l'ouvrage de H. Maturana et J. Mpodozis
De l'origine des espèces par voie de la dérive naturelle, Presses Universitaires de Lyon, 1999
, Presses Universitaires de Lyon, 1999
[4] Alain Gras, Fragilité de la puissance, Fayard, 2003
[5] Gilbert Rist, Le développement, Presses de Sciences Po, 2001
[6] Majid Rahnema, in Défaire le développement, Parangon, 2003
[7] Helena Norberg-Hodge, Quand le développement crée la pauvreté, Fayard, 2002
[8] Marshall Sahlins, Age de pierre, âge d'abondance, Gallimard, 1976
[9] Edouard Goldsmith, Le Tao de l'écologie, Editions du Rocher, 2002
[10] A ce sujet voir l'Appel de Paris en ligne : htpp ://appel.artac.info
[11] Jacques Ellul, Le système technicien, Le cherche midi, 2004
[12] Ivan Illich, Œuvres complètes Vol. 1 et 2, Fayard, 2005
[13] René Riesel, Aveux complets, Editions de l'encyclopédie des nuissances, 2001
[14] Voir aussi, la conférence donnée par Alexandre Grothendieck, Médaille Field 1968, le 27 janvier 1972 au CERN intitulée "Allons continuer la recherche?"
[15] Serge Latouche, L'occidentalisation du monde, Editions La Découverte, 1989
[16] Sabine Rabourin, Les sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes, Editions Delachaux et Niestlé, 2005
[17] Pierre Clastres, La société contre l'état, Editions de Minuit, 1974.