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Les aventures de la marchandise

La critique morale de la société capitaliste pour utile qu’elle soit ne peut remplacer une analyse approfondie de sa nature et de son fonctionnement. Sans une telle analyse en effet, toute tentative de dépassement de la société croissanciste est ou bien vouée à l’échec ou bien, pire encore, aboutit à renforcer sa domination. Pour soigner une maladie c’est à ses causes qu’il faut s’attaquer et non à ses symptômes, sinon le remède risque bien d’être pire que le mal. 

C’est donc à l’analyse de l’essence même du capitalisme que nous invite Anselm Jappe dans son essai. Reprenant l’œuvre de Marx, il commence par examiner les catégories de base de la société capitaliste à savoir la valeur, l’argent, la marchandise, le travail abstrait, le fétichisme de la marchandise. La notion de valeur est des plus importantes pour comprendre ce qu’est le capitalisme. Sans elle en effet l’échange de marchandises ne serait tout simplement pas possible et a fortiori il n’y aurait ni argent ni même de société capitaliste. La valeur est pour Jappe une abstraction réelle. Abstraction car la valeur n’existe en définitive que dans l’imaginaire social, mais néanmoins réelle puisque celle-ci va conditionner toute l’organisation sociale concrète : l’objectif de la société n’est plus de produire des objets utiles mais devient, par un étrange renversement, la recherche de l’augmentation indéfinie de la valeur. « Les moyens dont dispose la société pour atteindre ses buts qualitatifs se sont transformés en une puissance indépendante, et la société se trouve elle-même réduite à un moyen au service de ce moyen devenu fin. » [p69].

 

La critique de la valeur débouche naturellement sur une critique du travail en tant que travail-marchandise ou travail-emploi. Pour Jappe l’opposition que fait le marxisme traditionnel entre travail et capital est une erreur. « Travail salarié et capital ne sont que deux états d’agrégation de la même substance : le travail abstrait chosifié en valeur » [p100]. Ainsi, est-il vain de condamner les méchants capitalistes qui font des gros profits : ceux-ci ne sont en définitive que les rouages d’un mécanisme social dont ils ne maîtrisent pas la dynamique. « En vérité, les capitalistes ne sont que les serfs de l’autovalorisation tautologique du capital » [p112]. La conclusion est sans appel : la suppression la domination exercée par le capital passe par l’abolition du travail. Jappe rejoint ici les travaux du groupe allemand Krisis (qui soit dit en passant n’a strictement aucun rapport avec la revue éponyme d’extrême droite lancée par Alain de Benoist) auquel il participe(ait ?) et dont on peut consulter avec profit le manifeste contre le travail .

 

La notion de valeur est également essentielle pour comprendre la crise structurelle dans laquelle s’enfonce inexorablement  la société capitaliste et dont elle ne se relèvera pas. Aujourd’hui, d’une part la part du travail dit productif (c’est-à-dire qui crée de la valeur au sens capitaliste) ne cesse de diminuer sous les coups de boutoirs de la 3ème révolution industrielle (c’est-à-dire essentiellement l’informatisation) alors que d’autre part les faux frais (par exemple l’éducation, les infrastructures routières, la sécurité, l’administration, la comptabilité des entreprises, et tout le travail dit non productif de manière générale, …) augmentent toujours plus. Ainsi, au niveau global, la production de valeur (et donc la masse de profit) ne fait que diminuer. Pour contrecarrer cette déficience, et perdurer malgré tout, le système capitaliste doit alors recourir au capital fictif c’est-à-dire à l’autonomisation des marchés boursiers et à la spéculation. Celui-ci permet de simuler de manière artificielle une accumulation inexistante. « […] les mouvements fous de l’argent ne sont pas la cause, mais la conséquence des troubles dans l’économie réelle. » [p161]. Gare au krach ! Quant à ceux qui croient que l’on pourrait remédier à ces maux par la politique Jappe les met en garde dans la section intitulée La politique n’est pas la  solution (disponile ici) : la raison centrale est que l’Etat ne dispose pas de moyen autonome d’intervention.

 

Dans la suite de son ouvrage Jappe étudie plus particulièrement l’aspect historique et anthropologique de la société capitaliste. « Dans le concept de valeur est incluse son évolution mais non le fait de savoir où, quand et si elle doit rencontrer les conditions qui permettent de lui donner réalité » [p192]. Il rappelle notamment que l’existence de la société marchande telle que nous la connaissons aujourd’hui a nécessité au préalable la destruction des vieilles sociétés traditionnelles et que cela ne s’est pas passé sans heurts (luddites, etc.). Ce n’est qu’avec l’aide de l’Etat que celle-ci a réussi à s’imposer.

 

Puisant dans les œuvres d’anthropologues bien connus des objecteurs de croissance comme Karl Polanyi ou Marcel Mauss en passant par Marshall Sahlins, Jappe met également en évidence le fait que les catégories de base de l’économie ne sont pas de nature transhistorique mais bien de nature historique : la subordination de la société à l’économie n’est pas une fatalité !

 

Enfin, Anselm Jappe, analyse à la fin de son essai certains discours anticapitalistes qui, sous couvert de bonnes intentions, peuvent être en dernière analyse contre-productifs. Le mouvement altermondialiste avec son culte de l’Etat est le premier visé.

 

En résumé cet ouvrage est digne de figurer en bonne place dans la bibliographie décroissante. Rien de tel qu’une critique sans concession des catégories de bases de l’économie pour se décoloniser l’imaginaire et sortir de l’économicisme….

 

Signalons aussi sur le net le texte  Quelques bonnes raisons de se libérer du travail d’Anselm Jappe.

 

Bonne lecture

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